mercredi 1 juillet 2015

L’effet Papillon

 Etat d'âme
J’ai rencontré Joao, un chauffeur de taxi qui attendait ses clients en faisant du body-building. Il avait dans le coffre de sa voiture des altères et un rameur. C’était à Madère.
Aux Açores, Zacarias, un autre chauffeur de taxi, était fou amoureux de Dolorès. Mais, elle ne le savait pas. 
Dans une île paradisiaque des Cyclades, j’ai discuté longuement avec un serveur qui ne travaillait l’été que pour faire du ski en hiver. Ses skis étaient dans un angle de la salle du restaurant, toujours dans son champ de vision.
J’ai grimpé avec Farswad, qui voulait devenir un grand alpinisme et gravir les plus hauts sommets de la planète. Il était iranien et ne pouvait pas sortir de son pays.
À Islamabad, Hussein, un policier qui n’en avait que faire que je lui raconte que j’avais raté mon avion, me tenait fermement le bras. Je n’avais pas de visa et il voulait me mettre en prison.
J’ai rencontré Zhang, un pêcheur chinois qui pouvait naviguer n’importe où en mer de Chine. Les pirates le laissaient tranquille ; lui-même était pirate.
J’ai bu le maté avec Claudio, un gaucho qui, tous les soirs, attendait sur son cheval que le soleil se couche, illuminant au loin les montagnes du Paine. Tandis qu’il buvait et admirait les couleurs, son troupeau de moutons se dispersait dans la pampa. 
J’ai parlé à Suzanne, une vieille Américaine.  Elle était archéologue et continuait à fouiller, seule, les vestiges d’un village néolithique. La mission était officiellement terminée depuis quatre ans. C’était dans le Sud de l’Egypte.
Sief, un très vieux Yéménite, rentrait à pied dans son village ; il avait acheté une kalachnikov au souk. Comme elle était trop lourde pour lui, il m’a demandé de la lui porter. Je suis retourné au souk le lendemain pour acheter des cartouches.
J’ai rencontré un chef de village camerounais qui avait 46 femmes. J’ai perdu le carnet sur lequel j’avais dessiné leur portrait au crayon de papier. Dommage… j’avais indiqué le nom de chacune au-dessous des esquisses.
J’ai passé de longues nuits sous les étoiles en compagnie d’un chamelier au Niger. Avec ses onze chameaux, il transportait du sel entre les salines d’Adramor et Agadez. Il rêvait qu’il plantait des palmiers dattiers dans une oasis et qu’enfin, il pouvait se poser.
J’ai rencontré Ace, un Navajo qui sniffait de la colle quand il n’avait plus d’argent pour le crack. Il se faisait houspiller par Emmanuelle, une institutrice périgourdine en mission de coopération dans la réserve.
Dans la Tadrart, au creux d’un abri-sous-roche, je suis tombé amoureux de la femme. Elle venait d’un autre temps, fine et délicate peinture rupestre, divine représentation de la femme en seulement trois traits.
J’ai habité plus de deux ans à Marrakech. Je passais tous les jours devant un mendiant aveugle assis non loin de la place Djema el Fna’a. Me sentant arriver, il me donnait la météo et me prédisait que j’allais mourir… Il terminait hilare : « Pas tout de suite, Patron. Tu profiteras du soleil encore aujourd’hui. » Je continuais ma route, en lui répondant : « Je te souhaite la même chose, Ali ! »
Une nuit en sortant d’un bar à Dar el Salam, j’ai croisé la route d’un gang de jeunes délinquants ivres et bruyants. Je n’ai pas eu à sortir mon couteau, on s’est juste croisés.
J’ai fait un bout de piste dans un taxi-brousse en Casamance, entre deux militaires. L’un d’eux s’était endormi, son FSA entre les jambes, le doigt sur la gâchette, quand un pneu a éclaté. Il s’est éveillé en sursaut en appuyant sur la détente. Le toit de la 4L n’a pas résisté et mon oreille droite a sifflé pendant trois jours. Je ne me souviens plus comment s’appelaient les soldats.
À Ushuaïa, j’ai rencontré Zita, une danseuse de tango qui voulait aller à Buenos Aires pour danser dans une revue. Aux dernières nouvelles, elle dansait dans la rue, dans le quartier de la Boca.
En Tunisie, j’ai pris en stop Mohamed et sa vieille télévision, il allait regarder un match de foot chez Ali plus loin… à plus de 20 kilomètres. J’ai vu le match Tunis–Gabes : 2 partout -  égalité. 
En Roumanie, Constantin, ivre de vodka, voulait forcer l’entrée du château de Bran en pleine nuit pour me prouver que Dracula était mort.
Je suis arrivé à Dubrovnik un jour où il neigeait. C’était la première fois que Goran voyait de la neige dans sa ville ; son père Darko aussi. Son grand-père Ivan se souvenait qu’une fois, il y a très longtemps, c’ était déjà arrivé.
À Hanoï, je n’ai jamais su le nom du portier de la fumerie d’opium. Il ne m’a jamais laissé entrer.
Avec Waheel, on a pris une voiture et on a traversé le désert jordanien pour aller visiter Bagdad. Je n’avais pas de papiers, c’était une folie ; on a bien rigolé.
À Jérusalem, j’ai vu un Rabin et un Imam attablés ensemble à une terrasse. Ils discutaient de choses et d’autres en sirotant un café au lait à la cardamome. Comme quoi, c’est possible. Je n’ai pas oublié d’écrire un vœu sur un petit bout de papier que j’ai confié à une fissure du Mur des Lamentations.
Je suis allé trois week-end de suite à Auschwitz. À chaque fois, il y avait une jeune fille, Sarah, qui déposait une gerbe de fleurs devant le bloc 5. Je me demande si elle y est encore aujourd’hui.
Un soir, j’étais à une représentation en plein air d’une version moderne de La Traviata, et j’ai vu un très gros papillon multicolore qui profitait des projecteurs. Il virevoltait dans la lumière, passant et repassant sur la scène. Il allait d’un chanteur à un autre, en suivant le tempo, rappelant à tous les invités que le plus beau des spectacles, c’est la vie.