L
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es
pays du Golfe de Guinée sont un espace tampon entre l'Afrique Noire et
l'Afrique du Nord. Loin des enlèvements, des exactions et de la terreur
qu'impose l'Acmi. C'est l'Afrique des pauvres, de la surpopulation. L'Afrique
oubliée des catalogues des agences de voyages. Dans cette palette chromatique
dominée par les tons glauques, un pays se distingue avec ses yeux pers, une
Afrique en miniature, le Cameroun.
Cratères
du
Mont Cameroun,
des
Dieux
V
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oilà
le temps des brochures des agences de voyages qui revient. Des photos vues des
centaines de fois. Des nouveautés qui n'en sont pas, des voyages inédits aux départs assurés.
Des
sentiers dressés comme les lions d'un cirque à force d'être battus.
Je
veux du nouveau, de l'aventure, de la vraie, de la boue, de la moiteur, de la
découverte…
De
l'aventure !
Celle
où l'on plonge corps et âme. Celle où l'on ne sait pas dans quelles conditions
on va dormir. Celle où un déplacement en minibus devient un vrai voyage. Celle
qui réserve des surprises en ouvrant le robinet de la salle de bain d'une
chambre d'hôtel cafardeuse.
Oui
en fait c'est cela !
Je
veux voyager.
P
|
our
cela, il n'y a pas d'autre alternative que de prendre les choses en main,
choisir une destination oubliée et pour assurer un départ, jouer les
commerciaux, les ambassadeurs… Constituer un groupe.
Une
fois de plus, c'est vers l'Afrique, que mes yeux lorgnent. Mon doigt stoppe
insidieusement la rotation du globe terrestre. Le hazard fait bien les choses.
Hazard ? Vous avez dit hazard ? Comme c'est bizzare.
Une
vision floue du continent me fait pencher vers l'Afrique de l'Ouest, le golfe
de Guinée, le Cameroun… le Mont Cameroun.
Le souffle des
Dieux
Le
plus laborieux reste à faire : Décider quelques amis pour constituer un groupe.
Alors, je m’y colle. Téléphone et liste de contacts.
Vincent
sera le plus difficile à convaincre, c’est un mystique.
-
Allô Vincent, ça te tentes ?
-
Bof
Je
m’en doutais, il faut jouer sur le concept, sur l'aspect mythique d'un tel
voyage.
-
Si si... attends, laisse-moi te raconter. Imagine, un aller simple, un
itinéraire de rêve, une ligne fabuleuse tracée par les anciens qui croyaient
que les dieux utilisaient le souffle du volcan pour se déplacer.
Une
superstition séculaire qui trouve ses racines dans les entrailles de la terre
africaine.
-
Ah ?
Il
commence à mordre, j’enfonce le clou car je le sais féru d'histoire.
Francis Richard Burton en 1861 fût le premier à en faire
l'ascension avec le botaniste Gustav Mann.
Cet explorateur anglais avait déjà à son palmaresse la découverte du Lac
Tangananyika en
1858
! Ce qui n'est tout de même pas rien !
C'est quasi à Richard Francis
Burton que tu dois la première traduction des contes des Mille et Une Nuits et du fameux Kâmasûtra que tu caches dans ta bibliothèque.
Burton est aussi un des premiers
européens a faire le pèlerinage à La Mecque.
10
jours hors du temps... Une petite aventure... Sur les traces des plus grands
explorateurs. L'ascension d'un sommet volcanique de plus de 4 .000 mètres
d'altitude. Il n'en faut pas plus pour que Vincent se décide :
-
Ah! Et c’est quand ?
Forêt
humide, source de vie
Et
voilà, et d’un ! c’est une affaire qui marche, suivant : Pascal.
Pascal
: facile ! Il faut lui parler des grands espaces. De l'extraordinaire
végétation tropicale et équatoriale.
Alors
mon argumentation porte sur les étapes clefs. Dès le premier jour d'ascention,
tu vas cheminer dans la forêt – que seule la langue anglaise arrive à qualifier
sans faire peur – la rain forest !
Entre
les tropiques du Capricorne et du Cancer, chaleur, pluies abondantes et lumière
constante permettent à la flore d'exprimer toute son exhubérance. Cette forêt
abritent plus de 75% de la biodiversité mondiale. Elle était très certainement
le refuge des premiers habitants du Cameroun bien avant Jésus Christ, des
chasseurs-cueilleurs nomades pygmées.
Aujourd'hui,
sur les flancs du volcan, elle abrite un petit éléphant menacé d'extinction.
Car tu verras que les pentes de la montagne sont un labirynthe de sentiers de
braconniers, de débardeurs, et de cultivateurs.
Puis
les jours suivants entre 3.000 et 4.000 mètres d'altitude tu déboucheras dans
la savane, sèche et irréelle du plateau sommitale. Ca et là des bouches
éruptives hoquettent encore quelques fumerolles et sur la dernière coulée de
lave de 1999, la végétation n'a pas encore repris ses droits – seules quelques
fougères bravent vigoureusement le désert minéral et l'altitude.
Je
lui parle encore de ce fameux Botaniste : Gustav
Mann qui donne son nom à la seule source d'eau et auprès de laquelle nous
établirons notre campement.
- Ok, Ok n’en rajoute pas, laisse un peu de
place pour la découverte : bien sûr que je viens.
Eau
et gaz à tous les étages… enfin presque !
Et
de deux !
Une
fille maintenant : la belle Caroline.
-
Oui je t’assure tout est très bien organisé.
Il
y a des tentes… Enfin, des tentes… Pas des North
Face de luxe… Tu sais qu'il est toujours agréable de dormir à la belle
étoile et justement là-bas le ciel est pur sans lumière parasite, idéal pour
observer les étoiles.
-
Oui, il y a un cuisinier. Enfin, tu sais un coup de main est toujours le
bienvenu et tu sais tellement bien faire la cuisine même sur un petit feu de
bois sans cuisinière électrique.
-
Oui, après les campement nous irons à l'hôtel. Pas de soucis pour ta douche…
Enfin, tu sais l'alimentation en eau et en électricité des villages est
capricieuse. Si les pompes sont en panne, il faudra se débarbouiller dans une
bassine d'eau froide.
Sur
les 50.000km de route que compte le Cameroun seulement 5.000 sont asphaltés, ce
qui relativise l'absence d'eau chaude dans toutes les douches.
-
Non, il ne fait pas trop chaud.
Le
pays est situé entre l'équateur et le tropique du Cancer. Il est donc sujet aux
deux climats, équatorial et tropical. L'alternance de saisons sèches et saisons
des pluies est très marquée. En partant cet hiver nous mettons toutes les
chances de notre côté pour bénéficier d'un temps agréable sans pluie et chaleur
étouffante.
-
Non, ce n'est pas dangereux.
Le
mont Cameroun est le dernier édifice volcanique continental de l'épine dorsale
camerounaise. Il s'élève à l'extrème sud-ouest du pays. Son activité volcanique
est avant tout fumerollique, tout comme sur les volcans des îles du golfe (Sao Tomé et Principe, Bioko et Annobon) ou
plus au nord dans les Monts Manengouba.
Et l'on restera assez éloigné du lac de cratère Nyos qui entra en éruption limnique en 1986 et fit plus de 1.700
victimes. Quand bien même, en 2011 une équipe de scientifiques a installé les
dernières colonnes de dégazage prévenant ainsi une autre éruption meurtrière.
Dans
le sud du pays, il n'y a pas de conflit inter-ethnique – pourtant plus de 250
ethnies différentes composent le patchwork humain du pays.
Pas
de guerre, loin du Sahara où l'Acmi s'agite encore. Paul Biya vient d'être réélu à la présidence de la république, il
l'est depuis 1982 ! Et tu verras le pays s'est construit après la
décolonnisation européenne, il garde étrangement une partie francophone et une
autre anglophone.
-
Non, ce n'est pas…
-
…
-
Non…
-
…
-
Oui.. tu viens ?
Manu
est un adepte des magazines "People". De la vie des stars… il connaît
tout ou presque.
Pour
lui, la région qui a inspiré le début du film : Tarzan, la légende de Greystock avec Christophe Lambert c’est sans hésitation : oui.
La
chute d’eau d'Ekom-Nkam, haute de 80 mètres ; il l'a vu 93 fois en DVD, aussi
est-il partant pour plonger dans un décor de cinéma. Il rêve d'approcher les
derniers gorilles du pays, mais nous n'aurons pas le temps cette fois-ci.
L'occasion d'un prochain voyage ?
Il
enchaîne.
Yannick Noah est né en France mais il reste très
attaché au pays de son père. Il est d'ailleurs très proche du président Paul Biya et soutient l'association de
la femme du président Chantal Biya : Unis pour Vaincre.
Finalement
Manu mène notre conversation téléphonique.
Il
y a aussi Calixthe Belaya,
l'écrivaine sulfureuse qui a fait beaucoup parler d'elle en ayant une liaison
avec Michel Druker.
Tu
connais me dit-il ?
Une
autre écrivaine que j'adore ! Léonora
Miano ! Tu connais ? Il faut absolument que tu lises "La saison de l'ombre". Elle vient de recevoir le prix Fémina pour ce roman qui donne une autre
vision de la traite négrière.
Et
puis- j'allais l'oublier ! hurle-t-il. Il y a
Manu Dibango et son saxophone ! Il me fait écouter un morceau pendant qu'il
vaque sûrement à d'autres occupations, je raccroche avant qu'il ne reprenne le
combiné et qu'il me cite tous les joueurs de l'équipe de foot, "Les Lions du Cameroun", de leurs
derniers exploits en Coupe d'Afrique des Nations : prenant pour acquis sa
participation.
Les
crevettes de la renommée
Ludovic
est plus “culturo-histoire” : ça tombe bien, car si le Cameroun est un jeune
pays, la République Fédérale du Cameroun est née officiellement en 1961 à la
suite de la décolonisation française et anglaise. Son histoire est très riche.
On
sait que dès le XVème siècle les portugais venaient pêcher le long des côtes du
golfe de Guinée. En s'aventurant dans l'estuaire du Wouri, ils constatairent que les eaux étaient particulièrement
riches en crevettes. Aussitôt ils baptisèrent le fleuve, "Rio dos Camaroes" (la rivière aux crevettes) que les
marins anglais se chargèrent de transformer en "Camarones".
Après
les portugais, ce sont les hollandais et les allemands qui s'installèrent sur
ces terres propères de la traite négrière. Les allemands établissent alors un
protectorat.
Camarones
devient "Kamerun", et les
premières grandes plantations (hévéas, bananiers, caféiers…) voient le jour.
Il
faut attendre la fin de le première guerre mondiale et la destitution du
protectorat Allemand pour que la Société des Nations confie le pays aux anglais
et aux français.
Aujourd'hui
l'organisation du pays repose sur une administration calquée sur la France, en
tenant compte des chefferies et des royaumes qui le composent. Les chefs sont
très influents dans la politique générale et locale. D'ailleurs un circuit au
Cameroun ne s'envisage pas sans leur rendre visite. Ce que nous ne manquerons
pas de faire en arrivant dans les villages.
Ludovic
est rassuré et adhère au programme.
Et
de Cinq pour notre petit club.
Terres
promises
Quant
à Odile et Marc, ce sont les contacts avec les gens qu’il faut mettre en avant.
Quoi
de mieux qu'un pays de traditions orales pour les convaincre. Comme le raconte
très justement l'ethnologue Nigel Barley
dans son premier livre sur son expérience au Cameroun "L'antropologue en déroute", si l'on donne la parole à un
conteur – il la garde sans vous la rendre !
Le
Cameroun est une mosaïque de plus de 250 ethnies. Les Peuls sont majoritaires avec les Kirdis et les Bamilékès,
mais chaque groupe minoritaire possède ses coutumes, son architecture et sa
propre langue. On trouve encore au sud du pays une poignée de pygmées qui
vivent traditionnellement reclus dans la forêt tropicale.
Le
Cameroun est aussi une terre d'asile pour les exilés et les réfugiers des pays
avoisinant comme le Rwanda, la République Centrafricaine, le Tchad… D'après le
Haut Commissariat aux Réfugiés, le pays accueille actuellement plus de 14.000
personnes.
L'envers
du décors : des milliers de camerounais tentent leur chance vers la France. Ici
tout le monde connaît quelqu'un, ou a quelqu'un de la famille qui a fait le
grand voyage.
Pour
les uns, la France est un pays où l'argent coule à flot, pour les autres, le
travail est au coin de chaque rue. La France est la terre promise.
Alors
pour convaincre Odile et Marc, il suffit de leur parler de ces contacts
chaleureux, des longues palabres avec les chefs de villages. De l'ambiance
bon-enfant des rues de Yaoundé, le vendredi soir, quand les dandies sortent
pour être vus dans leurs beaux costumes colorés et faits sur mersure. Quand les
filles vont au dancing, maquillées comme des voitures volées en se frayant un
passage entre les hordes de marchands ambulants. Leur raconter que les
agriculteurs sont toujours prêts à cueillir une banane pour l'offrir aux
visiteurs en échange de quelques mots.
A
|
ller
un p’tit dernier pour la forme. Jeff, sympa mais râleur.
-
Allo Jeff ? Une semaine de… ça te tente ?
-
Ah tu pars en Cappadoce…
-
Ok et bien bon voyage nous c’est parti pour l’Afrique.
Et
voilà je compte 7 et moi 1, ce qui fait 8. Parfait voilà un petit groupe. Un
petit tour sur le site d'Allibert-Trekking, les seuls à proposer ce circuit
(mais pour combien de temps encore ?) et en dix minutes tout le monde est
inscrit.
Elle
est pas belle la vie ?
Voilà
c'est fini. Retour en France.
Cette
paranthèse de sueur, de poussière, de sourires, d'immensité est terminée. Cette
histoire de voyage en accord parfait avec la cacophonie des attentes des
membres d'un groupe est déjà transformée en anecdoctes croustillantes, en
souvenirs édulcorés.
Ce
voyage restera au-delà de nos espérances, ancré dans nos semelles et nos
carnets de bord.
Il
y a eu des transferts en minibus bondés et surchargés, des crevaisons, des
pannes, des routes cabossées et des pistes défoncées. Nous avons même perdu une
roue ! Fort heureusement au démarrage, juste après un arrêt "photos",
personne n'a été blessé et un garagiste n'était pas loin pour réparer les
dégats.
Il
y a eu de nombreux contrôles routiers. La police, la gendarmerie et autres
administrations stoppent les véhicules, vérifient les passeports et attendent
un petit billet en retour. Ici, là-bas, on appelle cela "payer la
bière".
Il
y eu les sièges plastifiés qui ventousent les cuissent au moment de se
dégourdir les jambes ou d'acheter des bananes sur le bord de la route. Les
trous et les bosses de la piste que l'on ramasse sur le crâne le temps de
s'assoupir.
Il
y a eu le vent, les nuages, et l'ivresse du sommet.
Les
paysages dadaïques de la montagne. Oui ceci est un volcan !
Il
y a eu des aller et retour avec les charges de nourriture sur nos épaules. Manu
a porté toutes les tentes sur un dénivelée de plus de 1000 mètres, un porteur
sautillant joyeusement avec son sac à ses côtés tout en lui faisant la
conversation dans les montées les plus raides. Certains cultivateurs qui
délaissent leurs champs pour gagner quelques CFA en se faisant porteur ont tout
simplement flanché.
Il
y a eu cette plante étrange et urticante comme du sumac que nous n'avons pas pu
réellement identifier mais qui a laissé des traces indélébiles sur les jambes
fuselées de Caroline.
Il
n'y a pas eu d'eau chaude – ni même d'eau tout court - dans les douches de
l'hôtel. Heureusement la rivière n'était pas loin pour nous laver de la boue et
de la poussière volcanique.
Il
y a eu le marché de Douala, coloré, animé, mais au combien tendu quand un
groupe de blanc bardé d'appareils photographiques est jugé un peu trop voyeur.
Il
y a eu l'ambiance festive et burlesque de l'arrivée de la Course de l'Espoir :
un trail si dur qu'il n'est pas inscrit au programme international des grandes
courses.
Il y a eu l'accueil des chefs,
conteurs nés dans un pays de traditions orales. Ce qui signifie des après-midi
entières à les écouter discourir des sociétés secrètes. Ne s'interrompant que
pour poster un commentaire ou une photo sur Facebook avec leur Smart phone …
Quand la modernité télescope la tradition.
Il a eu ces couchers de soleil
embrasant l'horizon. La lumière africaine est unique et universelle à la fois.
Il y a eu le surbooking de
l'avion de retour – enfin plus exactement -
l'avion de la veille n'avait pas pu décoller à cause d'un problème
technique. Il était cloué au sol en attendant un technicien spécialiste. Les
passagers de la veille pensaient naturellement être prioritaires pour ce vol…
Une sacrée pagaille !
Il y a eu les repas dans les rues
de Yaoundé, animation, marchandage, poisson grillé et bière fraîche.
Il y a eu tant d'autre chose
qu'il vous faudra franchir le pas et les découvrir par vous-même.
D
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epuis ce voyage, Pascal ne pense
plus qu'à une seule chose : réunir des fonds pour aider à la sauvegarde des
Gorilles Cross River. Ces gorilles sont les primates les plus menacés sur
terre. Ils sont classés dans la catégorie des espèces en danger
d'extinction. Il ne reste que 150 individus qui vivent en petits groupes
dans la forêt tropicale sur la frontière du Cameroun et du Nigeria.
Odile et Marc ne sont pas rentrés
avec nous, ils ont tous deux profité d'un congé solidaire pour aider à
combattre la première cause de mortalité sur place, le paludisme. Ils
parcourent la brousse de village en village pour jouer des pièces de théâtre
mettant en scène les méthodes de prévention simple.