Atterrissage -
aéroport de Khartoum - 16h35 - jeudi - désarmement des toboggans.
Il y a longtemps, j’ai pris cette habitude :
coucher sur les pages d’un carnet de moleskine, informations et impressions. En
voilà un nouveau, première page, premiers mots…
L’avion s’immobilise. Avec les moteurs, la
climatisation s’arrête ; immédiatement la chaleur dans la carlingue en
aluminium devient suffocante.
Quelques militaires armés, débraillés et somnolents,
encadrent le flot des passagers sur le tarmac brûlant. Il manque le a de aéroport et le h de Khartoum est posé de travers sur
l’enseigne bleue qui se détache dans le ciel. L’impression de traverser un
champ de braises ; des volutes de chaleur émanent du goudron, alors que le
soleil est déjà très bas sur l’horizon.
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United Nation High Commissioner Refugee ! C’est
marqué en bleu sur la tente, en gros. Je sais lire, mais je ne sais pas ce que
ça veut dire. J’aime bien le dessin des mains qui protègent un enfant.
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File d’attente
- contrôle de police - passeport - visa - permis de voyager - contrôle de
douane - déclaration des appareils photos - carrousel à bagages.
Loin de l’Afrique des épices, des souks, des
safaris-photos, des plages désertes, des artisans, des rires… Ici, à part le
tapis roulant qui grince comme la craie sur les tableaux noirs de mon enfance,
il règne un silence de plomb et une tension presque palpable. Crasse et poisse…
les néons sont constellés de chiures de mouches. Et l’odeur ! Un mélange
âcre de sueur, poussière, tabac froid et peur.
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Conflit - 200 000 morts
- 1,85 million personnes déplacées - 230 000 réfugiés au Tchad - Fours -
Arabes - guerre - pétrole - Chinois - génocide.
Le soir, j’ai rencontré le correspondant du journal
à l’hôtel. Un type bien et efficace. Il m’a fait un topo complet sur la
situation au Darfour, devant un verre de vin d’Afrique du Sud. Maintenant, je
comprends mieux la chronologie. J’intègre les tensions ethniques entre les
Arabes et les Noirs sur fond de sécheresse et de désertification. J’entrevois
avec horreur les trafics d’armes et les expériences médicales.
Il m’a dressé le tableau d’un pays en guerre ;
encore un ! Photographe de guerre... Cela fait dix-sept ans que je couvre
les conflits aux quatre coins du monde. « L’humanité devra mettre un terme
à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité » disait J.F.K.
Nous avons terminé notre verre sur l’horaire du rendez-vous avec la voiture : 7 heures, le lendemain matin, direction le camp de réfugiés de El Geneïna, à la frontière tchadienne.
Je suis monté dans ma chambre pour prendre une
douche et essayer de dormir un peu. Il y avait des cafards dans la baignoire,
je les ai pris avec un mouchoir en papier et mis dehors, sur le balcon.
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Partir… Partir, pour aller où ?
Ici, il y a une école pour mon fils. Moi aussi je
vais à l’école, j’apprends à lire et à écrire. Alem est le seul de mes quatre
enfants que j’ai pu sauver avec mes bijoux et une casserole. Finalement la
casserole, je n’en ai pas besoin, les Blancs m’en ont donné une quand je suis
arrivée, il y a trois ans. J’ai eu aussi des couvertures et un bidon en
plastique rouge pour l’eau.
Les docteurs nous ont vaccinés plusieurs fois, ils
disent que c’est pour le bien de tout le monde, que c’est pour prévenir les
épidémies.
Allez où ? Là-bas sur les pentes du volcan, je
n’ai plus de famille, plus de maison. Je n’ai plus de terre. Alors ici, c’est
un peu comme mon nouveau village. Pourtant dehors, les gens nous voient d’un
mauvais œil. Ils disent qu’on prend tout leur bois et que bientôt ils n’en
auront plus pour faire la cuisine. J’arrive quand même à leur vendre des tissus
que je fais avec les sacs de riz.
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4x4 - chaos -
poussière - pistes - siège défoncé - chaleur - papiers - autorisations - badge
- déclaration - re-autorisation - entrez ! - merci.
Au loin, dans les brumes de chaleur, les barrières
en fil de fer barbelé scintillent sous le soleil. Le portail est gardé par des
soldats armés. À l’intérieur du camp, la vie grouille. Les enfants jouent au
foot avec un ballon crevé. Les femmes vont et reviennent du puits avec
d’énormes jerricans multicolores en chantonnant doucement. Elles vaquent à
leurs occupations. Quelques hommes sont là, discrets, assis au fond des tentes.
En passant devant les toilettes, un
haut-le-cœur ! Pas tant pour l’odeur mais surtout à cause des mouches… des
milliers de mouches.
J’ai rendez-vous avec le médecin-chef pour la visite
du camp. Mes doigts caressent le Leica au fond de ma poche. J’aime son contact.
J’aime encore plus le caler entre mon nez et mon arcade.... J’aime son objectif
fixe de 35 mm qui oblige le photographe à s’impliquer dans ses photos. Capa
disait : « Si la photo n’est pas bonne, c’est que vous n’êtes pas
assez près ». Je ne prendrai donc pas de photo aujourd’hui. D’abord
regarder, observer, comprendre, s’imprégner…
Le docteur m’explique l’organisation du camp. La
distribution hebdomadaire de la nourriture, le forage d’un nouveau puits,
l’attribution des tentes…
*****
Ce matin, surprise, il a distribué les photos. Je ne sais pas comment il a fait. D’habitude les autres reporters disent qu’ils vont les envoyer, les faire parvenir, mais personne ne reçoit jamais rien…
Moi aussi je veux avoir ma photo.
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Noir et blanc
- clair obscure - ouverture maximum.
Elle s’appelle Lielit, elle sent le savon, elle est
sublime. Elle capte la lumière comme aucune autre. Elle est venue me demander
de la prendre en photo. Je l’ai fait poser devant sa tente. Elle a un port de
reine ; assise sur le bidon, elle est magnifique. Je ne sais pas combien
de clichés j’ai pris, ni combien de temps cela a duré. Je commençais à
remballer mon matériel quand son petit garçon est venu se blottir dans ses
bras. Instant de tendresse intense et immense, dans la lumière rasante du
soleil couchant. J’ai appuyé sur le déclencheur. Pas la peine de vérifier, je
sais que cette photo est exceptionnelle. Ce que j’ai capté, c’est le regard
d’une mère sur son enfant.
Mais
je sais qu’un jour je reviendrai au camp de El Geneïna…
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Selam = paix
Alem = La terre
Lielit = princesse
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