La voix sèche et revêche de l’institutrice claque comme un
nagaïka – Sous ce coup de fouet de cosaque, Sergueï rentre la tête dans les
épaules et se dirige penaud au fond de la classe. Tout au fond de la classe… La
place des cancres.
Est-ce une faute d’habiter un corps trop grand ?
Gauche, il l’est assurément. Ses pieds trop grands buttent sur l’estrade, les cartables…
écrabouillent les arpions sur leur passage. Ses paluches, pleines de doigts ont
du mal à tenir un petit crayon pour calligraphier les lettres cyrilliques. Les
élèves se moquent de lui quand le stylo casse une fois de plus entre ses doigts.
Trop grand, trop fort…
Mais cancre non ! D’ailleurs Sergueï est le seul de la
classe à savoir ou se trouve le Kamchatka… en vrai.
Le Kamchatka ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
Le Kamtchatka est un bout du monde au Far-East sibérien.
Situé à l’extrême Est de la Russie, la péninsule s’étend entre la mer d’Okhotsk
et la mer de Bering/océan
Effectivement c’est loin : 11.876km de Moscou !
Bien plus loin que le fond de la classe !
Situé sur la ceinture du feu du Pacifique, les 300 volcans
de la péninsule - dont une trentaine en activité - sont classés au Patrimoine
Mondiale de l’UNESCO depuis 1996.
Territoire gelé pendant la guerre froide, il n’est ouvert
aux voyageurs que depuis la chute de l’empire soviétique.
Durant cette période la nature y est restée souveraine.
Nature composée de taïga, de toundra, de lacs, de rivières
et de cônes volcaniques.
Peu ou pas de route pour aller observer les volcans. Il faut
camper « Into the Wild » en partageant les WC sur le palier avec les
ours, les loups, les renards.
Le Kamchatka ! Sergueï reclus au fond de la classe en
rêve. Un jour il y ira.
Kamchatka : Eau et Gaz à tous les étages
Il est aujourd’hui chauffeur de 6X6 et conduit les touristes
du monde entier à la rencontre des trois mondes : minéral – végétal –
animal.
Son cœur bât au rythme des éruptions volcaniques et des
sourires béats des trekkeurs. Il aime quand ils racontent leur journée sous
la tente mess le soir.
Les fumerolles, les lacs d’acide, les mares de boue
bouillonnante, les geysers et la vodka réchauffent les cœurs et les chaussettes
mouillées.
Face à cette nature démesurée, Sergueï n’est plus
« trop » grand.
Plus personne ne le raille, au contraire on loue sa
gentillesse. On aime ses coups de main quand il faut démonter les tentes, on
salut sa force quand il faut déplacer un tronc d’arbre en travers de la piste.
On est subjugué par son savoir en matière de volcanisme, on
l’écoute attentivement quand il raconte les ours, on note le nom des plantes
qu’il connaît en latin.
Sergueï n’est plus un cancre, il ne l’a jamais été. Il était
juste trop grand pour la ville.
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