lundi 8 février 2016

Le chemin de l’inspiration passe par Petra

Après deux ans de stérilité littéraire, c’est dans le désert jordanien que l’auteur d’Hercule Poirot retrouve l’inspiration qui l’avait quittée. Retour sur ces traces prolifiques où se sont mêlés passions et doutes.

Le cliquetis nerveux de la mécanique Remington rebondit en échos multiples sur les falaises de grès rouge des canyons de Pétra. Alors que les archéologues se reposent pendant les heures les plus chaudes de la journée, les pensées d’Agatha Christie s’agitent sur les touches de sa machine à écrire. Il y a deux ans déjà qu’elle a annoncé à son éditeur « a Christie for Christmas ». Mais depuis, l’inspiration est en panne. Jusqu’à cet été 1937 dans la moiteur épaisse du désert jordanien. La nabatéenne souffle à son oreille comme une muse. Deux titres devenus cultes sortiront de ce séjour : « Rendez-vous avec la mort » et « Mort sur le Nil ».
Petra porte un nom minéral. Tout n’y est que roche, bloc, caillou et sable… Par défis, les Nabatéens y avaient imaginé un système unique d’adduction d’eau pour irriguer un immense caravansérail sur les routes commerciales. Dans l’entre-deux guerre, l’équipe d’archéologues dirigée par Max Mallowan a découvert des vestiges de citernes sur les hauteurs du canyon et bien plus loin dans le désert. La ville était lovée dans un labyrinthe de roche dont on se transmettait le plan de bouches à oreilles de caravaniers. On faisait ici le négoce des richesses du sud de l’Arabie heureuse : myrrhe et encens qui s’échangeaient contre les soieries et épices d’Orient, les pierres et bois précieux de l’Afrique Noire. Petra était riche et puissante. C’était une place forte du commerce et des affaires décidant jusqu’au cours de l’once d’or. La découverte des routes maritimes, plus rapides, changea le centre de gravité de ce monde et l’oasis fut recouverte.
Dans la campagne de fouilles qu’elle escorte avec son jeune époux passionné d’archéologie, Agatha Christie organise l’intendance, réalise les prises de vue avec son Leica, numérote, inventorie, annote. Elle utilise parfois son pinceau à fard pour parfaire le nettoyage d’une petite céramique… Pendant les heures les plus chaudes, alors que tout le monde fait la sieste, elle écrit sans relâches : au cours d’une excursion touristique dans le site de Petra, une vieille femme acariâtre et tyrannique est retrouvée assassinée et tous les protagonistes de l’histoire ont une excellente raison de la tuer. Le scénario est simple et efficace. Le décor donne toute sa dimension à l’histoire.

Décor en berne
Depuis quelques jours, le cliquetis de la Remington habituellement si fluide, est nerveux et haché. Agatha bute sur un détail. Elle cherche dans ce labyrinthe le meilleur endroit pour mettre en scène la découverte macabre. Alors depuis une semaine, quand le soleil décline pour laisse exploser les couleurs moirées du grès, l’écrivain arpente méticuleusement l’ancienne oasis. Le mécontentement s’installe. Hier encore, elle est revenue bredouille de son exploration n’ayant découvert qu’un petit canyon qui débouche derrière l’ancien barrage à hauteur du grand siq.
C’est l’entrée principale du site qui s’ouvre sur le Kazneh – le trésor – par un canyon étroit. En fermant les yeux, on peut y imaginer la vieille Mme Boynton dans un numéro de mégère. Trop théâtral. Il faut à Agatha Christie un décor simple, facile à décrire et qui s’efface derrière son récit.
Un autre lieu parfait idéal : le Monastère El Deïr mieux proportionné que sa voisine sculptée dans le grès rouge. Le promontoire rocheux s’élevant à l’opposé du parvis serait idéal car il est creusé naturellement d’une petite grotte. Mais pour y parvenir, il faut remonter un vallon, le wadi Kharareeb, éloigné du centre de la cité. Trop loin pour l’empâté Hercule Poirot …
La place du sacrifice alors ? Elle domine le canyon. La vieille dame pourrait reposer au pied de l’obélisque, ou mieux, sur l’autel taillé dans la roche…. Trop haut. Les tombes royales ? Laquelle choisir : la façade colorée de la Tombe de la Soie, ou celle très érodée de la Tombe Corinthienne ? Une chose est sûre, ce ne sera pas dans l’ancien théâtre romain…

Rêveries fécondes 
Impossible de se décider. L’énervement gagne. La reine du polar s’étire et se résout à une pause. Tout est en désordre sur sa table. Ses propres photographies et ses croquis du site se mêlent aux reproductions des anciennes lithographies de David Roberts. Il faudrait ranger tout cela, mais il fait chaud, très chaud. Il est à peine 15heures, le thé ne sera servi que dans deux heures. Elle délasse ses bottines, s’évente et se laisse aller à la rêverie. Il est loin le temps de sa jeunesse. Elle rêvait alors de d’être chanteuse. Exit le temps de son premier mariage avec Archibald de la Royal Flying Corps. Finies les tromperies, les déprimes, les amnésies. Il y a eu ce pari avec sa sœur sans lequel elle n’aurait jamais écrit son premier roman policier, « Une mystérieuse affaire de style ». Le premier d’une longue série. Il y a les poèmes de cet étrange personnage, Adlous Huxley, qu’elle espère un jour rencontrer. Il y a Max, dont elle est follement amoureuse. Elle bénit le jour où ce couple d’archéologues, Léonard et Katherine Wooley, l’a invitée à Bagdad. C’est là-bas, à l’occasion d’une réception mondaine, qu’elle a rencontré Max. Le coup de foudre fut réciproque. Il est de 15 ans son cadet, mais qu’importe ! Quand, dans les soirées bourgeoises on évoque insidieusement de cet écart, elle a une réponse toute trouvée : « Épousez un archéologue : plus vous vieillissez, plus il vous aime ! »

Le temps passe et le livre n’avance pas. Agatha se lève et arpente la tente de long en large. « Je suis sortie de la tente pour me dégourdir et réfléchir, raconte-t-elle. J’ai marqué un temps d’arrêt sur le seuil, pour permettre à mes yeux de s’accoutumer à la forte luminosité. Quand j’ai enfin recouvré la vision, ce fut pour découvrir Max, assis sous un dais, immobile et tête baissée. Il étudiait une poterie et ressemblait à un Bouddha dans cette position. J’ai réalisé à cet instant que j’avais devant moi la solution à mon problème. C’est ici, dans le campement, au pied de Ksar el Bint, et nulle part ailleurs, que l’on devra découvrir la vieille dame. C’est au cœur du site fabuleux de Petra qu’Hercule Poirot devra faire marcher ses petites cellules grises, et faire preuve, une fois de plus, de sa redoutable intelligence…»





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