mardi 29 mars 2016

Polé - Polé

Le Kili, pour les intimes, hisse fièrement ses 5895 mètres au-dessus du continent africain. Roi des montagnes, couronné par les neiges éternelles, chanté et écrit par les plus grands.

Le rêve de tout trekkeur sillonnant le monde, de tout alpiniste collectionnant les sommets de la terre et l'objectif des lubies des autres, le sommet d'Uhuru Peak, le nom local du Kilimandjaro fascine et obsède.


Pour réussir sereinement l'ascension du Kilimandjaro, fiez vous à l'adage martelé par les guides locaux : Polé – Polé (doucement–doucement).

mardi 22 mars 2016

La "Vallée Heureuse" vit sa première aventure culturelle

Les Rencontres photographiques Berbères deviennent les Ateliers photographiques de l'Atlas.
Flash back sur la première édition, il y a trois ans déjà.
Cet article avait été publié dans l'excellent magazine photo marocain : Photo News 




La "Vallée Heureuse" vit sa première aventure culturelle : les RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES BERBERES

Une volée de moineaux s'égaille dans le petit village de Tabant, au cœur de la "Vallée Heureuse" des Aït Bougmez dans le Haut Atlas. Ces petits oiseaux piaffent, courent, chahutent et rient ; ce sont 19 enfants du pensionnat du collège. Ils ont dans leurs mains un appareil photo et se dépêchent.
Durant la semaine du 16 au 20 septembre 2013, le pensionnat du collège de Tabant a été le théâtre des premières Rencontres Photographiques Berbères.

Ce vendredi matin, ils n'ont que deux heures pour réaliser une dernière série de clichés sur des thèmes aussi différents que les maisons traditionnelles, les métiers, les animaux domestiques, la modernité dans la ville, les montagnes, le travail dans les champs…
Dans le réfectoire, la tension est extrême. L'équipe de bénévoles de l'organisation et d'encadrement des Rencontres Photographiques s'affaire et s'agite pour que l'exposition soit prête. Le vernissage doit avoir lieu en fin d'après-midi. Alors, on prodigue les derniers conseils de cadrage ou d'exposition. Ici, on change une carte mémoire pleine, là des batteries. Dans une autre pièce, on sélectionne les meilleures photos. Plus loin on les imprime.

Culture et traditions berbères
Laissons là toute cette agitation, et revenons un an en arrière. L'esprit bouillonnant de Saïd Marghadi, enfant originaire du pays, fervent défenseur de la culture et des traditions berbères en France, veut faire plus qu'une maison d'hôtes dans le village d'Aït Oumzi, plus qu'un livre sur les nomades Aït Ata, plus que  de promouvoir cette culture au travers de son métier d'accompagnateur-photographe-fixeur.
Tous les moyens sont bons pour mettre au-devant de la scène cette vallée oubliée de la route et du temps.
Le spectre d'une idée originale se profile à l'horizon. Il veut organiser un événement culturel dans sa vallée.

Une certaine idée de la "rencontre"
L'idée est là : organiser des Rencontres Photographiques Berbères.
En mûrissant, l'idée va aller à contre-pied de ce qui se fait à Arles ou ailleurs. Il n'y aura pas de tête d'affiche, pas de grands noms de la photographie. Les stars, ce seront 19 enfants du pensionnat du collège de Tabant, sélectionnés par le directeur, Mr Mohamed Oukkerou. Donner la possibilité de manipuler des appareils photographiques et de poser un regard sur leur environnement voilà le but de ces premières "Rencontres". Et qui sait ? Parmi ces moineaux qui arpentent les ruelles de la ville en arborant fièrement leur compact en bandoulière se cache les nouvelles graines montantes de la photographie marocaine.

Des partenaires et une équipe motivés
Tout va très vite. Les partenaires adhèrent aussitôt. Le Riad Ennafoura, la Maison de la Photographie à Marrakech, la maison d'édition Pupilles Vagabondes, la maison d'hôte Touda, et la fondation Facim (Fondation pour l'Action Culturelle Internationale en Montagne) répondent positivement à l'appel suivant leurs moyens.
Une page Facebook est mise en ligne et expose le projet. De nombreux donateurs envoient des appareils photos numériques et des cartes mémoires qui dormaient au fond des placards.
Le journal marocain "Le Soir" et le magazine marocain de l'image "PhotoNews" relayent l'information. Ce dernier ira même plus loin en dépêchant Mr Mohamed Mali, son rédacteur en chef, sur place.

Saïd contact Jean-David Laurence pour assurer l'encadrement photographique. Jean-Christophe Monnier réalisera un film sur cette formidable semaine. Stéphanie Ledoux, carnetiste, rejoint l'équipe. Sandrine Perez, Marie-Rose Di Scanno et Nicolas Mascarino, les conjoints respectifs assureront la lourde tâche de l'organisation logistique. Tous sont bénévoles, motivés et impliqués dans cette aventure.

Le réfectoire en guise de salle d'exposition
Il est midi. Les moineaux reviennent de leur moisson, en sueur. Ils rient. Ils sont fiers et ils le peuvent. La qualité des clichés est exceptionnelle. Ils ont mis en pratique tous les conseils promulgués durant cette semaine. Ils ont aiguisé leur œil, vu ce que d'autre ne regardent pas. Au-delà de la technique, ce regard fera mouche durant l'exposition de clôture.  Les autres enfants du pensionnat comme les animateurs, et quelques adultes venus en curieux, profiteront un temps de ces images exposées dans le réfectoire du pensionnat. Chacun déambule à son rythme en reconnaissant sur une photo la maison d'untel, ou sur une autre image le système d'irrigation d'un autre habitant du village.
Une photo de groupe, quelques chants, des discours émus viennent cloturer ces journées des Premières Rencontres Photographiques Berbères.

Une semaine dense, riche et surtout - de l'avis de tous (enfants, organisateurs, personnel d'encadrement du pensionnat – surtout… trop courte.
Les enfants décrochent à la hâte leurs clichés pour les emporter et les montrer à leur famille dès ce soir. 
Les moineaux s'égaillent dans les rues de Tabant en piaffant à l'idée que l'année prochaine, avec l'automne, reviendra le temps des "Deuxième" Rencontres Photographiques Berbères.



Les Rencontres Photographiques Berbères tiennent à remercier chaleureusement tous les partenaires qui ont contribué à ce que cet événement soit possible.
Le Riad Ennafoura, la Maison de la Photographie à Marrakech, la maison d'édition Pupilles Vagabondes, la maison d'hôte Touda, et la fondation Facim et le magazine marocain de l'image "PhotoNews"!

lundi 14 mars 2016

Mariage pluvieux... Mariage heureux

Quand Marc m’a demandé de choisir une destination de voyage de noce, j’ai bien compris que par ce moyen détourné, il se décidait enfin à me demander en mariage.
J’ai répondu tout de go, un :
- “Oui bien sûr je t’aime” à la demande en mariage.
     Mais à vrai dire ce n’était pas nouveau, nous vivons ensemble depuis 3 ans et nous en parlions depuis quelques temps. Donc, le problème du mariage réglé, c’est la deuxième partie de la question qui m’a demandée un peu plus de réflexion. Il fallait répondre vite pour ne pas se laisser imposer une destination farfelue comme en a le secret Marc.
     L’année dernière j’ai eu droit au Tour des Annapurnas au Népal. Pas le tour de monsieur tout le monde... l‘intégral s’il vous plaît, sanctuaire et Thonrong Pass compris. Au total  25 jours de trek et 24 nuits de lodges pour seulement 5 douches froides. J’ai mis plus de trois mois à m’en remettre. Et encore... aujourd’hui mes mollets sont toujours de la taille de ceux de Lans Armstrong, anabolisants compris. Je n’ose plus mettre mes bottines bordeaux à lacets et ma jupe 3/4 fendue très haut que j’aime tant et qui me fait la taille fine.

Mais tu t’égares ma Céline tu parles de trop. Concentres-toi sur ce qu’il a dit :
Il a dit : Noce. Ça c’est réglé
Il a dit : Voyage de noce...
Vite vite réfléchis ma fille!...

TROPIQUES ET SABLE CHAUD
     Je pense...  je rêve... sable chaud... plages... douce moiteur des tropiques...
Longues balades romantiques sur une plage déserte au soleil couchant. Un verre de Tequila Sunrise à la main, le petit parasol du cocktail dans les cheveux. Et pour finir mon film, des nuits plus torrides que dans 9 semaines 1/2.
L’image des Caraïbes s’impose tout de suite à mon esprit, mais comme pour contrarier cette première impression une image des plages du Pacifique se superpose. C’est très compliqué... vite vite répondre car Marc, en face de moi, baguettes en l’air, dans ce restaurant VietNamien, n’attend que ma réponse avant que son canard à l’orange ne refroidisse.


Tropique - plages - océan - mer chaude...  Caraïbes - Pacifique ... dilemme ... Caraïbes-Pacifique. Tic tac tic tac... vite, vite... il faut que je sois originale, pas un de ces spots où l’on retrouve tous les jeunes mariés de la terre.
- COSTA RICA!
J’ai annoncé cela  comme une candidate de “Questions pour un champion” en appuyant très fort sur le rouleau de printemps-buzzer servit dans mon assiette.
Costa Rica...
La première chose à faire le lendemain, c’est bien sûr, d’appeler ma copine Corinne.
- Allô tu sais quoi?
- Non?
Je lui raconte...
COSTA RICA t’es folle ma fille!  J’ai vu un reportage à la télé il y pleut souvent, les volcans sont en activité et c’est plein de bêtes sauvages très bizarres...
Mais je ne l’écoute déjà plus, les dés sont jetés...
Et puis les volcans en activité c’est mon truc il y a quelques années déjà en Fac de géologie je passais toutes mes vacances à essayer de ramener à mon prof “the” échantillon de phonolite ou la plus belle photo d’éruption du Stromboli...

- En route cocotte!
C’est exactement cela,  sous une cape de pluie ou engoncé dans un gore-tex, on transpire, on surchauffe comme une cocotte minute. Il ne m’a fallu que trois jours pour comprendre ce phénomène et y remédier.
Trois jours passés sur les volcans de la cordillère centrale qui domine la vallée où s’étend la capitale du pays : San José.
Le Poas et l’Irazu sont tous deux accessibles en voiture. Depuis le parking, il ne faut pas plus de 15 mn de marche à pied pour pouvoir admirer leurs cratères encore fumants. Ils ont en commun d’être deux strato-volcans dont un des cratères au moins est occupé par un lac. Celui du Poas est d’un bleu profond et ses eaux sont extrêmement acides. En 1989, ce lac que nous avons devant les yeux n’existait pas. A sa place gisait un phénomène unique sur terre :  une mare de 2 mètres de diamètre de soufre liquide.
En plus de l’activité fumerollienne je suis la seule à apercevoir un genre de petit geyser, Marc est peu vexé d’avoir raté cela. Il boudera tout le reste de la journée pendant les intéressantes balades que nous ferons dans le parc.

LE VOLCAN ET LE PRESIDENT 
Les eaux du lac de l’Irazu sont beaucoup moins acides. Nous avons la chance de voir le lac vert émeraude lors d’une grande et belle éclaircie matinale. Nous apprenons d’un des gardes rangers du parc naturel que ce volcan de 3 432 m était particulièrement actif il y a 40 ans. Il nous raconte en particulier l’éruption importante du 19 mars 1963. San José, 3000 mètres plus bas se retrouva sous une pluie de cendre noire alors que le président John F. Kennedy était en visite officielle dans la capitale du Costa Rica

Aujourd’hui je marche sereine, j’ai la parade, j’ai un parapluie. Je l’ai acheté hier au marché de San Isidro. Il est assez grand pour protéger mon sac à dos de la petite pluie fine qui tombe depuis ce matin. Je peux grâce à lui prendre des photos et je ne surchauffe plus. Pourtant ça monte. Deux milles mètres de dénivelée pour rejoindre à 3 300m le refuge Crestones. Le lendemain au sommet du Cerro Chirripo à 3 819 mètres d’altitude, le lever de soleil est une féerie digne de mes imaginations les plus folles, nous avons les Caraïbes d’un coté et en se retournant la côte Pacifique.
Le Cerro Chirripo est considéré comme étant la montagne la plus au nord de la Cordillère des Andes. L’autre bout c’est là bas, au sud, à Ushuaïa à plus de 7 000 kilomètres.
Sur le chemin du retour, mais sans pouvoir le voir, nous entendrons le cri si particulier du toucan.

Baignade au soleil couchant dans l’Océan Pacifique... pourtant je ne suis pas très rassurée, le parc national de Manuel Antonio jouxte la plage et aujourd’hui nous avons eu tout le loisir d’observer la faune si particulière du Costa Rica. Des paresseux, des boas, des coatis, des singes et des caïmans... nous avons pu tout voir grâce à Maurillo un guide naturaliste. C’est un tout petit parc mais nous y retournons demain car Maurillo nous a assuré que nous verrons un couple de quetzal. Ils nichent toujours non loin de leur arbre préféré : l’avocatier. Les fruits n’ont rien à voir avec ceux que l’on mange chez nous ils sont beaucoup plus petits. Les quetzals les avalent tout rond et recrachent ensuite le noyau.
Forêt primaire et mangrove se mélangent dans ce parc pour donner libre cours à une nature néotropicale exubérante, quand les gros animaux se cachent il y a toujours à voir des dizaines d’espèces d’orchidée et des papillons multicolores à la taille démesurée.

LE ROMANTISME DU CAÏMAN
Ce soir balade romantique le long de la plage...
Enfin romantique... plutôt au rythme des Hola! Que tal ? car les Ticos (c’est ainsi que l’on nomme les habitants du Costa Rica) sont un brin dragueur... Ce qui dit en passant n’est pas fait pour me déplaire au grand dame de Marc. Il faut bien attiser le feu de temps en temps...

     Nous apprenons de la serveuse du restaurant où nous dégustons un “casado” (plat national à base de poisson ou viande accompagné de riz, haricots noirs, légumes, et de bananes plantains) que les conditions météorologiques du Rincon de la Vieja, un autre volcan actif situé au nord du pays, sont un peu spéciales. Les vents sont violents et le sommet est souvent sous les pluies d’altitudes, ceci est dû à son isolement par rapport aux autres montagnes. Mais comme nous pouvons observer ici divers phénomènes volcaniques comme les solfatares, les geysers et les sources chaudes. nous  projetons quand même d’y aller.
     Une fois n’est pas coutume nous aurons de la chance et nous pourrons voir les deux lacs qui occupent les cratères sommitaux, entre deux passages nuageux. Un de ces lacs change de couleur il passe du blanc laiteux au bleu pale suivant la lumière. L’autre se nomme très justement : Laguna Dante, et il faut faire attention aux émanations de gaz en s’en approchant.
Non loin de la zone de solfatare, au pied du cône volcanique, une source d’eau chaude nous accueille pour un bain divin.

Marc fait la tête, il voulait aller directement à l’Arenal, mais j’ai (encore et comme toujours) gagné. Nous sommes en septembre et j’ai lu dans mon guide que la nidification des tortues vertes de l’Atlantique s’étale de juillet à octobre, alors nous faisons le détour par la plage de Tortuguero.
Lampe frontale et petite laine, nous n’attendons pas longtemps, la nuit vient à peine de tomber que comme par enchantement la plage est envahie par des centaines de tortues...
Marc en est bouche béé et pour enfoncer le clou je lui lance un : “Tu vois je te l’avais bien dit!” (je n’ai pas pu m’en empêcher).
Ensuite le “lodge” est somptueux, un vrai théâtre de lune de miel et je rappelle que c’est la cas....

Je suis scotchée par le spectacle des projections et des coulées de lave de l’Arenal, scotchée et trempée jusqu’au string, car hypnotisée par les explosions  j’en ai oublié mon parapluie.

PURA VIDA  
La dernière grande éruption de ce volcan date d’août 2000, mais depuis presque quarante ans le volcan est en activité permanente. Aujourd’hui encore l’Arenal est en forme, du “mirador” où je me trouve, le grondement des éruptions vous secoue la cage thoracique. Le son arrive avec un décalage par rapport au feu d’artifice des projections incandescentes de lave.
Il est interdit de faire l’ascension de l’Arenal et les rangers qui patrouillent régulièrement dans le parc vous le rappellent gentiment, de toute façon le meilleur endroit pour profiter du spectacle c’est bien là, et pour que la magie soit totale : la nuit c’est encore mieux.

“Pura vida” l’expression fétiche des “ticos” est imprimée sur une affiche 6x4 dans l’aéroport, enfin une publicité non mensongère, le Costa Rica c’est vraiment la “pure vie”.
Bon d’accord comme destination de lune de miel il y a moins humide.
Encore que... Ne dit-on pas ?  Mariage pluvieux, mariage heureux !











mercredi 9 mars 2016

LA FEMME DE LHAMO

Ils sont arrivés cette nuit. J’ai entendu le moteur râler et s’enliser dans la boue de la piste. Pas étonnant avec toute cette pluie qui tombe depuis trois jours.
Ils ont poussé, tiré, mais rien n’y a fait. Après des heures d’éclats de voix - dans une langue que je ne comprends pas - d’efforts et de hurlements de moteur, le silence de la nuit s’est de nouveau installé. Je ne sais pas ce qu’ils font, je pense qu’ils se sont endormis.
Je me suis levée plus tôt que d’habitude pour aller traire les yacks. Il ne pleuvait plus. Je voulais voir.
Deux d’entre eux se réchauffent au soleil, ils tournent autour du minibus, les mains dans les poches. Déjà la boue rouge se solidifie et emprisonne les roues du véhicule. La buée sur les vitres m’empêche de voir les autres à l’intérieur qui doivent encore dormir.


.

Mon mari est sorti de la tente et avec les autres hommes de la tribu, est allé aux nouvelles. Rares sont les minibus qui passent par la piste du plateau qu’utilisent généralement les gros camions de marchandises. Encore plus rares sont ceux qui s’arrêtent.
La dri (*) à la corne cassée est comme à son habitude à l’écart du troupeau. Je ne peux plus rien voir car ma tente me cache tout - il faudra retendre les cordes coté nord - la toile de laine de yack est gorgée d’eau... Par contre je les entends - le son de la voix porte loin sur le plateau.
Je suis rentrée avec mon seau plein de lait. Je vais faire le beurre ce matin.
Il n’y a plus personne autour du minibus toujours enlisé dans la boue.
Où sont-ils?
Argh! Ils sont dans ma tente. Tous.
Je sais que mon mari est heureux. Son visage est impassible mais il est content d’accueillir chez nous des étrangers. Et puis c’est normal, il est en quelque sorte le chef de notre clan, c’est lui qui décide de l’emplacement du camp, du moment où il faut transhumer...
Il me demande de leur préparer du thé, et de leur donner du pain et de la viande de yack séchée.
Ils me regardent mettre du bois dans le feu, remplir la bouilloire... moi aussi je les observe... à la dérobée.
Ils se ressemblent tous. Ils sont trop grands, ils touchent le toit de la tente, même quand ils sont assis par terre ils ne savent pas quoi faire de leurs jambes trop longues. Ils ne sont pas beaux. Leur peau est blanche. Le visage des hommes est couvert de poil. Les cheveux des femmes sont jaunes. Leurs oreilles sont vraiment grandes. Leurs mains! Leurs mains sont toutes petites. Qu’est-ce qu’on peut faire avec des mains si petites? On ne peut pas travailler.
Dans le fond de la tente près de ma malle où je mets mes vêtements et mes bijoux il y en a un qui semble être leur chef, les autres se taisent quand il parle. Il est plus foncé de peau, il a les cheveux et les yeux noirs. Il est de notre taille. Il ressemblerait presque à mon frère si son nez n’était pas si grand.
Il joue avec mon fils ils se font des grimaces , ils rigolent... La petite derrière la malle pleure. Il ne va... si, il la prend dans les bras et la berce doucement. La petite tête son petit doigt et ne pleure plus. Finalement il n’est pas si laid que cela.
Lhamo (**), mon mari, goûte le thé et me demande d’ajouter encore plus de beurre rance. Il veut honorer ses invités.
L’interprète chinois nous explique que ce sont des touristes. Ils reviennent du massif montagneux de l’Amnye Manchen. Ils ont marché pendant 7 jours autour de la montagne sacrée. Moi, je n’y suis jamais allée, j’aimerai bien faire ce pèlerinage, ainsi que celui du Kailash. Il parle du lac Koko Nor, des milles Bouddhas de Bingling Si... c’est si loin.
Ils rejoignaient la ville de Labrang et son monastère quand un éboulement sur la piste des gorges les a contraint à passer par le plateau. La suite, je connais : la pluie, la boue, la nuit passée dans le minibus.

Dans un grand bruissement (leurs vêtements en plastique font du bruit comme un chien qui s’ébroue) ils se lèvent et sortent de la tente. Celui qui a ma fille dans les bras se lève aussi il va me l’enlever... non il me la tend. Elle dort. Il me sourit.
Les hommes les ont aidé à dégager leur minibus de la gangue de boue.
Ils sont partis.
Le plateau est vide et silencieux. Maintenant que le soleil est revenu je vais faire sécher des bouses de yack pour le feu. Bientôt, il faudra changer de pâturage pour les bêtes, nous changerons notre campement de place. Je vais demander à mon mari de nous installer plus loin de la piste.

(*) La DRI est la femelle du yack.

(**) LHAMO est un prénom tibétain qui signifie : “le protecteur”.