Ils
sont arrivés cette nuit. J’ai entendu le moteur râler et s’enliser dans la boue
de la piste. Pas étonnant avec toute cette pluie qui tombe depuis trois jours.
Ils
ont poussé, tiré, mais rien n’y a fait. Après des heures d’éclats de voix -
dans une langue que je ne comprends pas - d’efforts et de hurlements de moteur,
le silence de la nuit s’est de nouveau installé. Je ne sais pas ce qu’ils font,
je pense qu’ils se sont endormis.
Je
me suis levée plus tôt que d’habitude pour aller traire les yacks. Il ne
pleuvait plus. Je voulais voir.
Deux
d’entre eux se réchauffent au soleil, ils tournent autour du minibus, les mains
dans les poches. Déjà la boue rouge se solidifie et emprisonne les roues du
véhicule. La buée sur les vitres m’empêche de voir les autres à l’intérieur qui
doivent encore dormir.
Mon
mari est sorti de la tente et avec les autres hommes de la tribu, est allé aux
nouvelles. Rares sont les minibus qui passent par la piste du plateau
qu’utilisent généralement les gros camions de marchandises. Encore plus rares
sont ceux qui s’arrêtent.
La
dri (*) à la corne cassée est comme à son habitude à l’écart du troupeau. Je ne
peux plus rien voir car ma tente me cache tout - il faudra retendre les cordes
coté nord - la toile de laine de yack est gorgée d’eau... Par contre je les
entends - le son de la voix porte loin sur le plateau.
Je
suis rentrée avec mon seau plein de lait. Je vais faire le beurre ce matin.
Il
n’y a plus personne autour du minibus toujours enlisé dans la boue.
Où
sont-ils?
Argh!
Ils sont dans ma tente. Tous.
Je
sais que mon mari est heureux. Son visage est impassible mais il est content
d’accueillir chez nous des étrangers. Et puis c’est normal, il est en quelque
sorte le chef de notre clan, c’est lui qui décide de l’emplacement du camp, du
moment où il faut transhumer...
Il
me demande de leur préparer du thé, et de leur donner du pain et de la viande
de yack séchée.
Ils
me regardent mettre du bois dans le feu, remplir la bouilloire... moi aussi je
les observe... à la dérobée.
Ils
se ressemblent tous. Ils sont trop grands, ils touchent le toit de la tente,
même quand ils sont assis par terre ils ne savent pas quoi faire de leurs
jambes trop longues. Ils ne sont pas beaux. Leur peau est blanche. Le visage
des hommes est couvert de poil. Les cheveux des femmes sont jaunes. Leurs
oreilles sont vraiment grandes. Leurs mains! Leurs mains sont toutes petites.
Qu’est-ce qu’on peut faire avec des mains si petites? On ne peut pas
travailler.
Dans
le fond de la tente près de ma malle où je mets mes vêtements et mes bijoux il
y en a un qui semble être leur chef, les autres se taisent quand il parle. Il
est plus foncé de peau, il a les cheveux et les yeux noirs. Il est de notre
taille. Il ressemblerait presque à mon frère si son nez n’était pas si grand.
Il
joue avec mon fils ils se font des grimaces , ils rigolent... La petite
derrière la malle pleure. Il ne va... si, il la prend dans les bras et la berce
doucement. La petite tête son petit doigt et ne pleure plus. Finalement il n’est
pas si laid que cela.
Lhamo
(**), mon mari, goûte le thé et me demande d’ajouter encore plus de beurre
rance. Il veut honorer ses invités.
L’interprète
chinois nous explique que ce sont des touristes. Ils reviennent du massif
montagneux de l’Amnye Manchen. Ils ont marché pendant 7 jours autour de la
montagne sacrée. Moi, je n’y suis jamais allée, j’aimerai bien faire ce
pèlerinage, ainsi que celui du Kailash. Il parle du lac Koko Nor, des milles
Bouddhas de Bingling Si... c’est si loin.
Ils
rejoignaient la ville de Labrang et son monastère quand un éboulement sur la
piste des gorges les a contraint à passer par le plateau. La suite, je connais
: la pluie, la boue, la nuit passée dans le minibus.
Dans
un grand bruissement (leurs vêtements en plastique font du bruit comme un chien
qui s’ébroue) ils se lèvent et sortent de la tente. Celui qui a ma fille dans
les bras se lève aussi il va me l’enlever... non il me la tend. Elle dort. Il
me sourit.
Les
hommes les ont aidé à dégager leur minibus de la gangue de boue.
Ils
sont partis.
Le
plateau est vide et silencieux. Maintenant que le soleil est revenu je vais
faire sécher des bouses de yack pour le feu. Bientôt, il faudra changer de
pâturage pour les bêtes, nous changerons notre campement de place. Je vais
demander à mon mari de nous installer plus loin de la piste.
(*) La DRI est la femelle du yack.
(**) LHAMO est un prénom tibétain qui signifie : “le
protecteur”.
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